Born in Pyongan-bukdo, Sinuiju, Democratic People's Republic of Korea
Lives and works between Busan and Seoul, South Korea
Je suis le peintre des quatre saisons
par Henri-François Debailleux
La matière semble très importante dans votre travail. Quel rapport entretenez-vous avec elle ?
La matière est indissociable de la couleur, de la ligne, du trait. On ne peut donc pas parler de la matière seule. Dans ma façon de peindre, tout est lié, tout se mêle de manière indistincte. Dans certaines toiles, il y a beaucoup de matière et il m’arrive même effectivement de la gratter, de l’inciser avec le manche de mon pinceau. Dans d’autres, il y en a moins. Je n’ai pas de recette, pas de formule préétablie. Tout dépend des tableaux, de ce que j’ai envie d’exprimer avec plus ou moins de violence et d’énergie. Mais si je devais mettre en avant un élément, je dirais que le plus important, c’est la couleur. Pour moi, la couleur est au moins la moitié de la peinture.
Dans ce rapport à la couleur et dans le choix du motif des fleurs, par exemple, quelles sont vos sources d’inspiration ?
J’ai toujours eu une grande passion pour la tradition coréenne dans le domaine des arts décoratifs. Les vêtements des femmes, les motifs qui ornent leurs robes constituent un réservoir extrêmement riche du point de vue de la diversité et de la vivacité des couleurs. Mais, cela dit, je m’intéresse tout autant au mobilier ou à la céramique. Ce qu’il y a de bien avec la tradition, c’est qu’on part de quelque chose qui existe, qui est figé dans le temps, et qui en même temps peut ouvrir des portes vers des choses nouvelles, offrir de nouvelles perspectives. Mais, je le répète, ce qui m’importe le plus, ce sont les couleurs, l’énergie qu’elles dégagent. Peu m’importe d’où elles viennent, de la tradition ou de la nature. Tout me nourrit. J’absorbe tout ce qui vient de l’extérieur, tout ce qui peut constituer un élément pictural.
Que vous apporte et que vous permet la tradition ?
Dans son ouvrage La Chambre claire, Roland Barthes distingue deux éléments dans une photographie : le studium, qui désigne l’intérêt, l’affect que l’on ressent face à une chose, et le punctum, qui est ce qui pique comme une flèche et relève du hasard, de la rencontre. Pour moi, la tradition est le domaine où l’on apprend et la nature est cette force qui « pique ». Dans ma génération, tous les créateurs sont, à leurs débuts, sous l’influence de l’art ancien. Nous n’avions pas d’autre solution. Pour découvrir l’art européen, il nous fallait aller ailleurs. Donc nous avons tous appris la peinture, aussi bien la forme que la couleur, à partir de l’art ancien coréen.
Y a-t-il des maîtres qui vous ont influencé et lesquels ?
Je ne sais pas si j’ai été vraiment influencé par quelqu’un en particulier, c’est difficile à dire parce que mes sources ont toujours été extrêmement variées et multiples, comme je viens de le dire. Des maîtres, il y en a beaucoup, mais de manière assez vague. Si je devais n’en citer qu’un, je dirais Kim Chong-hui. De même, j’ai toujours aimé les portraitistes coréens. Mais j’ai été plus influencé par la nature que par l’histoire de l’art.
Et les peintres européens ?
À une époque de ma vie, j’ai évidemment regardé leur travail et j’en ai appris quelque chose. J’ai toujours aimé Francis Bacon, Lucian Freud, mais je ne peux pas dire qu’ils m’aient inspiré, ce n’est pas le bon terme. C’est surtout quand j’ai découvert les plaines, les montagnes, les fleurs que cela a produit un déclic dans ma peinture. Tous les artistes de ma génération ont, à un moment ou un autre, regardé l’art européen et ils s’en sont ensuite écartés pour retrouver un lien avec notre propre histoire. Cela est tout aussi vrai pour ceux qui font de l’abstraction que pour quelqu’un comme moi qui est plutôt figuratif.
Et Van Gogh, par exemple ?
Bien sûr, je connais son œuvre. Si nous avons un point en commun, c’est une forme de violence dans nos toiles. Tout simplement parce qu’il s’agit d’abord et surtout de la violence même de la nature. C’est ce qui explique que face à elle nous ayons à la fois une façon assez proche de la traiter et en même temps une approche différente parce qu’en Asie notre culture fait qu’on s’appuie plus sur sa force, sur son énergie .
Qu’est-ce qui vous a conduit vers la figuration ?
À la fin des années 1960, j’ai vécu au Japon pendant deux ans, j’étais proche de Lee Ufan. Quand je suis revenu en Corée, la plupart de mes confrères, comme Park Seo-bo, ceux qui sont aujourd’hui réunis sous l’appellation dansaekhwa, étaient aussi dans l’abstraction. Dans ce contexte, j’ai moi aussi commencé un travail plus ou moins abstrait, mais j’ai vite eu l’impression de tourner en rond. Plus tard je suis allé à New York, où j’avais remarqué que l’art abstrait dominait mais qu’il y avait quand même des peintres figuratifs. Je me suis dit que moi aussi je pouvais aller dans cette direction. Ce que j’ai fait. Autour de moi, la réaction des gens était très chaleureuse et encourageante parce qu’ils découvraient dans mon travail des variétés et des combinaisons de couleurs, évidemment très différentes du monochrome, qui donnaient à mes œuvres de l’énergie, de la vivacité et une grande fraîcheur.
Comment est née votre grande attirance pour la nature ?
En 1979, je suis allé à Sul Ak, et en me promenant je suis tombé sur une petite fleur, qui s’appelle « la fleur qui accueille la lune », et j’ai eu l’impression qu’elle me parlait. Ce fut une révélation. Dès lors, j’ai commencé à avoir un dialogue avec la nature. Une autre fois, je marchais et je me suis retrouvé au milieu d’herbes touffues. Je n’arrivais plus à avancer, je devais les écarter ou même les couper pour me frayer un passage. Je me suis dit que j’étais là sur un chemin qui n’était pas prévu, comme s’il s’agissait d’un autre chemin, un chemin à inventer. Je suis revenu à la maison comme un chaman, qui lit la nature et qui lui parle. Tout cela m’a rappelé l’un des termes les plus importants pour Lao Tseu, celui de do. Ma peinture est, elle aussi, la recherche d’un chemin qui n’est pas encore décidé, ni trouvé ni fixé. Je marche sur un chemin que personne ne considère encore comme un chemin.
Si quelqu’un vous demande ce que vous peignez, que lui répondez-vous ?
Je lui réponds que j’aime la figure et que j’aime les saisons, le printemps, l’été, l’automne, l’hiver. Je les aime pour elles-mêmes et pour l’idée du changement permanent qu’elles impliquent. Elles incarnent la vie, le renouvellement, l’énergie. C’est sans doute pour cela que les gens disent que je suis le peintre des quatre saisons.
Propos recueillis par Henri-François Debailleux