Ces dernières oeuvres doivent être perçues comme un geste, un geste simple, celui de verser des matériaux au fond d’un cadre. Le résultat, cette matière coulée, peut être appréhendée de deux façons contradictoires : soit comme un effondrement, soit comme une élévation, soit comme une chute, soit comme une accumulation. Ces matériaux déversés proviennent de l’atelier : perles de plastique, paillettes, chutes de bois ou de plexiglass, de gélatine, sable, verre... D’une certaine manière l’artiste les a ici détournés, recyclés. Étonnamment, on peut remarquer que ces matériaux aux couleurs acidulées sont presque tous issus du pétrole. En coulant, en tombant, ils se superposent en strates que l’on peut voir à travers le verre du cadre, comme s’il s’agissait d’une coupe avec ses sédiments, des empreintes de différents temps, comme s’il nous était révélé quelque chose d’enfoui, de caché. Bien sûr cette technique peut s’apparenter à l’art populaire qui consiste à faire des images avec du sable coloré dans des bouteilles. Mais ces éléments, ces perles, ces matériaux en équilibre précaire les uns sur les autres, s’apparentent pour Lionel Estève plus à de la sculpture qu’à des images puisqu’il est ici surtout question de la loi de la gravité.
Ce qui est donné à voir semble être accidentel, temporaire, instable, remis en jeu si l’on déplace l’œuvre. Bizarrement une œuvre d’art est devenue un objet en mouvement. Ces constructions interrogent la définition d’une œuvre d’art qui se veut comme une chose fixe, maîtrisée, choisie. Ici, il s’agit d’une marque de mouvement, d’un équilibre qui forme une image hasardeuse et aurait pu être toute autre.