Regarde-moi
Daniel ARSHAM, Sophie CALLE, Jiang CHENG, Johan CRETEN, Jean-Philippe DELHOMME, Jens FÄNGE, CHEN Fei, GELITIN, Laurent GRASSO, Charles HASCOËT, Gregor HILDEBRANDT, JR, Izumi KATO, CHEN Ke, Klara KRISTALOVA, Trevon LATIN, ROMEO MIVEKANNIN, Danielle ORCHARD, zéh PALITO, Christiane POOLEY, Claude RUTAULT, SONG Kun, Kathia ST. HILAIRE, Xavier VEILHAN
group show
9 juin - 30 juillet 2022
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Paris
76 rue de Turenne
75003 Paris France

L'exposition collective 'Regarde-moi' (Look at Me) nous plonge dans une galerie de portraits de notre époque à travers une quarantaine d'œuvres.


« Le portrait - un classique parmi les classiques de l'art de la représentation - est une pratique intemporelle. Il est porteur d’un discours mémoriel, destiné aujourd’hui comme hier à dire l’intimité et l’absence, à exalter le mystère des visages et des corps, à se perdre dans une intériorité ou une histoire dont les ressorts semblent ne jamais pouvoir être énoncés à haute voix ». — Jill Gasparina

Vue de l'exposition de groupe 'Regarde-moi' à la Galerie Perrotin, Paris, 2022. Photo : Claire Dorn. Courtesy of all the artists and Perrotin
Vue de l'exposition de groupe 'Regarde-moi' à la Galerie Perrotin, Paris, 2022. Photo : Claire Dorn. Courtesy of all the artists and Perrotin
Vue de l'exposition de groupe 'Regarde-moi' à la Galerie Perrotin, Paris, 2022. Photo : Claire Dorn. Courtesy of all the artists and Perrotin
Vue de l'exposition de groupe 'Regarde-moi' à la Galerie Perrotin, Paris, 2022. Photo : Claire Dorn. Courtesy of all the artists and Perrotin
Vue de l'exposition de groupe 'Regarde-moi' à la Galerie Perrotin, Paris, 2022. Photo : Claire Dorn. Courtesy of all the artists and Perrotin
Vue de l'exposition de groupe 'Regarde-moi' à la Galerie Perrotin, Paris, 2022. Photo : Claire Dorn. Courtesy of all the artists and Perrotin

Au Musée archéologique de Naples, on peut admirer le portrait de Paquius Proculus et son épouse. Comme les portraits du Fayoum, ces oeuvres antiques témoignent de la longévité de l’art du portrait, une pratique qui a traversé les époques et les cultures, se renouvelant à mesure que les inventions techniques bouleversaient les conventions gouvernant l’art de la représentation humaine, et que la globalisation s’accélérait. De cette émouvante pièce d’une fresque détachée de son support, à la pratique contemporaine du selfie, c’est toute une histoire de l’art et de ses moyens qui s’est écrite, siècle après siècle, constituant un musée imaginaire de visages connus ou inconnus, de célébrités ou d’anonymes, d’amis disparus.

Cette exposition nous plonge justement dans une galerie de portraits de notre époque. On y retrouvera donc certains traits qui lui sont propres. La culture pop de la célébrité, d’abord, avec le petit portrait de Marco Verrati, footballeur italien officiant au PSG, réalisé par Charles Hascoët, ou celui de l’actrice italienne Virna Lisi par Gregor Hildebrandt. On reconnaît également les effets des technologies numériques de l’image dans la facture fluide, presque surréalisante, de Closer de Song Kun. Ou dans la Violeta (assise-manteau) de Xavier Veilhan, sculpture floutée destinée à l’extérieur, et qui doit à l’art classique de la statuaire autant qu’aux filtres rajeunissants d’Instagram ou aux images photoshoppées qui constituent désormais notre environnement visuel.

L’oeuvre Les modèles au repos, réalisée par le peintre, architecte et écrivain Romeo Mivekannin nous renvoie quant à elle à des questionnements sur la place des personnes noires dans l’histoire de l’art et l’iconographie occidentales. Dans cette reprise de Félix Vallotton (qui évoque aussi la fameuse Olympia de Manet), l’artiste se dépeint en modèle noir et réinvestit pleinement l’espace du tableau : il nous regarde, dans un renversement des principes de l’orientalisme. La production d’une visibilité qui ne serait plus simplement celle d’un objet pensé, vu et dépeint par des yeux occidentaux et masculins, est devenue un enjeu décisif. A cet égard, le portrait est un espace éminemment politique.

C’est dans cette même perspective que peuvent être comprises les trois oeuvres de Chen Ke revisitant la figure de Marianne Brandt, artiste et designeuse formée au Bauhaus, dont l’oeuvre photographique a été largement éclipsée par l’histoire officielle. Sa Marianne est une icône androgyne et puissante qui nous rappelle que la place des femmes dans le monde de l’art reste l’objet de luttes. Un sous-texte semblable nourrit les peintures de Danielle Orchard, fantaisies post-cubistes dans lesquelles des sujets féminins, désormais dotés de leur propre agentivité, revisitent des scènes de l’art des années 1920.

Dans nombre de ces portraits s’exprime par ailleurs une pulsion décorative. Qu’il s’agisse du collage d’un fond doré et ornemental avec des motifs marbrés d’une nappe dans Breakfast de Chen Fei, des menus détails et des arrière-plans colorés des oeuvres de Zéh Palito, des patchworks brillants de Trevon Latin, des tissages de Katia St. Hilaire, les conventions de représentation rompent ici avec une modernité occidentale définie par son refus de l’ornement. Comme elles tranchent avec le réalisme digital des selfies et portraits photographiques pris sur le vif, qui occupent une large partie de nos écrans connectés, et dont le portrait miniature de son père par Sophie Calle constitue ici un rappel. Aujourd’hui, comme lors de la démocratisation de la photographie au milieu du 19e siècle, ce moment où "pour la première fois, [les hommes] tinrent du bout des doigts leurs faces extériorisées", la peinture et la sculpture ont encore leur mot à dire.

Un ensemble de pièces en céramiques, matériau exigeant et lent, à l’inverse de l’instantané photographique, rappelle d’ailleurs dans l’exposition que l’image réaliste n’épuise pas tout. Les personnages esseulés, inspirés de mythes nordiques de Klara Kristalova, comme les visages tourmentés de Johan Creten dégagent ici une charge inquiétante. Dans une veine plus farcesque mais non moins étrange, Gelitin propose un portrait de groupe aux visages grimaçants et simplifiés, qui rappelle certaines formes de stylisation propre à la culture web.

Si les questions postcoloniales, féministes, ou de genre sont d’une actualité radicale dont les formes actuelles du portrait permettent de prendre la mesure, ce classique parmi les classiques de l’art de la représentation qu’est le portrait apparaît aussi dans l’exposition comme une pratique hors du temps : immuable comme peut l’être une tête d’Apollon (Daniel Arsham). Il est porteur d’un discours mémoriel, destiné aujourd’hui comme hier   dire l’intimité et l’absence, à exalter le mystère des visages et des corps, à se perdre dans une intériorité ou une histoire dont les ressorts semblent ne jamais pouvoir être énoncés à haute voix. Chez Christiane Pooley, ils disparaissent pour ne plus laisser voir que des corps fantomatiques. Chez Jiang Cheng, ils se perdent dans l’anonymat de leurs titres et la nature hallucinatoire de la représentation. Dans les pièces de Jens Fänge, la décomposition de la surface par le collage semble renvoyer à une hypothétique dissolution des sujets.

Accueilli dans la première salle par les énigmatiques figures d’Izumi Kato, le visiteur passe ainsi à travers une forêt de visages-symboles pour la plupart inconnus, dont certains le regardent et d’autres l’ignorent. Yang Yinzhen, femme chinoise portraiturée par JR ferme les yeux comme pour se replier sur un monde intérieur. Shelim de Jean-Philippe Delhomme fait exister d’un regard de traverse le hors-champ du tableau. Le visage réduit à son plus simple appareil de Studies into the Past de Laurent Grasso – une paire d’yeux – regarde juste à côté de nous. "Regarde-moi" supplie le titre. Mais qui parle ? Et qui veut être vu, les oeuvres, ou les spectateurs ? Tout se résume finalement des jeux de regard. Y-a-t-il plus  trange expérience que d’être ignoré par un tableau ?

Claude Rutault, décédé le 27 mai 2022 à l'âge de 80 ans, avait conçu en 2001 la définition / méthode "peinture-tombeau", qui prévoyait que cette pile de toiles aux mêmes dimensions que lui, comme un portrait, changerait de mode de présentation au moment de sa disparition. De son vivant présentée verticalement dans l'espace avec la derniere toile retournée coté châssis face au spectateur, la pile est maintenant présentée couchée à plat devant un mur, la toile supérieure présentée côté toile non peinte.

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Liste des oeuvres
ROOM 1 MARAIS
ROOM 2 MARAIS
ROOM 3 MARAIS
ROOM 4 MARAIS
ROOM 1 SAINT CLAUDE
ROOM 2 SAINT CLAUDE
ROOM 3 SAINT CLAUDE
ROOM 4 SAINT CLAUDE
ROOM 5 SAINT CLAUDE