27 avril - 5 juin 2021
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Paris

76 rue de Turenne

75003 Paris France


Suite à la représentation de l'estate d'Alain Jacquet, Perrotin Paris accueille ce printemps une première exposition dédiée à l'artiste. Cette exposition d'envergure, conçue en étroite collaboration avec la succession de l’artiste, couvre plusieurs décennies de la carrière d’Alain Jacquet, et investit les trois espaces de la galerie dans le Marais.

Contemporain de l’expansion sans précédent des techniques de reproduction des images, Alain Jacquet (1939, Neuilly-sur-Seine –2008, New York) n’a cessé d’explorer la façon dont notre regard est infiltré par des représentations. De ses premières toiles abstraites à ses tableaux réalisés mécaniquement par sérigraphie ou par ordinateur, une prodigieuse diversité de formes lui permet d’expérimenter des partis pris constamment maintenus. Sa capacité de renouvellement est ainsi guidée par les principes suivants : une tension entre abstraction et figuration ; l’image latente appartenant à une mémoire collective aussi bien qu’individuelle ; l’appropriation d’images issues de la culture populaire contemporaine et de l’art des musées ; l'explosion de l'unicité de l'image par sa fragmentation et sa démultiplication ; enfin, une subtile polysémie teintée d’ironie et imprégnée d’ésotérisme dans une quête des lois fondamentales de l’univers.


De ses débuts en 1961 en dialogue avec les artistes du pop art américain, aux périodes du Mec Art, du Braille ou des Visions de la Terre, Alain Jacquet aura traversé les courants de son époque sans se réduire à aucun d’entre eux, anticipant par la même occasion l’art appropriationniste et simulationniste. Son œuvre fait aujourd’hui écho à une nouvelle génération d’artistes pour laquelle les images ne constituent pas un redoublement du monde mais le milieu dans lequel baigne tout individu. Produire de la différence au sein de la répétition, un effet de présence par ce qui en signerait prétendument la fin, à savoir les copies de copies d’un monde saturé de signes : tel est l’horizon que nous propose Alain Jacquet.

Vue de l'exposition "Jeux de Jacquet", Perrotin Paris. (Photo: Claire Dorn)
Vue de l'exposition "Jeux de Jacquet", Perrotin Paris. (Photo: Claire Dorn)
Vue de l'exposition "Jeux de Jacquet", Perrotin Paris. (Photo: Claire Dorn)
Vue de l'exposition "Jeux de Jacquet", Perrotin Paris. (Photo: Claire Dorn)
Vue de l'exposition "Jeux de Jacquet", Perrotin Paris. (Photo: Claire Dorn)
Vue de l'exposition "Jeux de Jacquet", Perrotin Paris. (Photo: Claire Dorn)
Vue de l'exposition "Jeux de Jacquet", Perrotin Paris. (Photo: Claire Dorn)
Vue de l'exposition "Jeux de Jacquet", Perrotin Paris. (Photo: Claire Dorn)
Vue de l'exposition "Jeux de Jacquet", Perrotin Paris. (Photo: Claire Dorn)
Vue de l'exposition "Jeux de Jacquet", Perrotin Paris. (Photo: Claire Dorn)
Vue de l'exposition "Jeux de Jacquet", Perrotin Paris. (Photo: Claire Dorn)
Vue de l'exposition "Jeux de Jacquet", Perrotin Paris. (Photo: Claire Dorn)
Vue de l'exposition "Jeux de Jacquet", Perrotin Paris. (Photo: Claire Dorn)

Quand tu commences tu ne sais pas quoi peindre. J’avais en tête ce jeu de jacquet que j’avais toujours eu sous les yeux chez mes parents et qui présentait une structure simple, géométrique. Il me permettait de pratiquer une abstraction qui trouvait son origine dans le réel. La structure du jeu et son rapport avec mon nom s’imbriquaient. J’avais décidé de ne peindre qu’avec six couleurs, les couleurs de l’arc-en-ciel, et uniquement en les juxtaposant.



— Alain Jacquet, entretien avec Catherine Millet, Art Press, N°146, Avril 1990

Aussi varié dans ses procédés et dans ses formes que cohérent dans ses principes, l’œuvre d’Alain Jacquet présente d’incessantes métamorphoses autour du phénomène de la perception. D’un « tout fait main » au « tout fait machine(1) », il aura exploré la façon dont notre regard, à l’ère de la reproductibilité technique, est toujours infiltré d’images.


Cet artiste appartient à une génération ayant assisté à l’expansion de la consommation et à la prolifération sans précédent des images. C’est d’ailleurs par des reproductions photographiques qu’il découvre les peintres abstraits américains qui lui inspireront ses premières toiles. Affichant de grands balayages gestuels d’apparence abstraite, on peut supposer que chacune d’elles a pour origine une image référentielle [...]

Il s’agit là d’un principe constant de son œuvre, celui de l’ « image latente », relevant d’une mémoire collective aussi bien qu’individuelle, que l’on retrouve dès ses séries suivantes. À commencer par ses Jeux de Jacquet, fondés sur une homonymie avec son propre nom, soit un ensemble de toiles dont les volutes, les courbes et les triangles irréguliers de couleur verte, bleue, jaune, rouge et blanche reprennent les formes colorées du tapis de ce même jeu. Ce vocabulaire baroque, enrichi de pourpres et de roses, se répercute immédiatement dans ses Images d’Épinal (1961-1962). Comme leurs titres l’indiquent, ces peintures sont produites à partir d’images d’Epinal réduites à des formes simplifiées, librement transposées au pinceau sur de grandes toiles. Tout se passe ici comme si l’artiste ramenait l’expressionnisme abstrait au statut d’une simple imagerie, pointant ainsi la « propension des livres d’histoire de l’art à transformer l’abstraction en image »(2). Voir une abstraction, une œuvre qui échappe à la représentation au profit d’une pure présence, c’est forcément la corréler dans les années 1960 comme aujourd’hui aux références visuelles qui peuplent notre regard, c’est-à-dire la voir comme « une image » d’abstraction.

C’est aussi par des reproductions qu’Alain Jacquet prend connaissance du pop art américain au début des années 1960. La proximité avec ses recherches autour des images de masse l’interpelle et l’incite à entamer un dialogue avec les artistes de ce courant(3). Roy Lichtenstein, qu’il rencontre en 1964 à New York, est celui avec lequel les échanges sont les plus fructueux, donnant lieu à plusieurs appropriations de ses peintures tel que Camouflage Lichtenstein/Picasso, Femme dans un fauteuil (1963). La toile originelle de Lichtenstein, transposant elle-même une œuvre de Picasso dans une trame de points, est ici recouverte par une juxtaposition de plages de couleurs ondoyantes caractéristiques des premiers Camouflages d’Alain Jacquet. Succèdent en 1963 des Camouflages fondés sur des télescopages d’images hétéroclites, prélevées dans la culture populaire et dans l’histoire de l’art, selon des principes de superposition et d’hybridation.

En 1964, à New York, il y avait une sorte de va-et-vient constant sur la scène artistique, des interférences d’un atelier à l’autre, avec Roy Lichtenstein, avec Andy Warhol. Ce n’était pas les stars qu’elles sont devenues. Entre Lichtenstein et moi, il y avait un jeu très rapide de répliques. Quand je me suis aperçu qu’il s’était emparé d’un Picasso pour le transformer, je me suis alors approprié son oeuvre pour en faire un camouflage : un camouflage d’un Picasso qui était un Lichtenstein.



— Alain Jacquet, Le Monde, 9 mai 2002. Propos recueillis par Philippe Dagen.
Vue de l'exposition "Alain Jacquet, 1964" au Alexander Iolas New York (USA), 1964.

Cette logique est également à l’œuvre dans l’une des pièces les plus connues de l’artiste, Le Déjeuner sur l’herbe (1964). Cette toile marque la transition d’une pratique manuelle de la peinture à l’impression photomécanique, faisant ainsi de l’artiste un précurseur du Mec’Art selon le terme inventé par Pierre Restany pour qualifier ses œuvres. Il s’agit là d’un transfert sérigraphique, tramé de points bleus, jaunes, rouges et noirs, d’une photographie pour laquelle des amis de l’artiste ont repris la pose des personnages du tableau de Manet, lui-même inspiré par le Concert Champêtre de Giorgione.

J’ai eu envie d’utiliser au maximum les possibilités de la technique du Déjeuner, et, étant donné que cette technique était également, pour une part, photographique, j’ai voulu de vrais acteurs. Je faisais de la mise en scène sur un plan fixe, du cinéma avec une image figée... Il s’agissait ensuite de traiter cette image par un éclatement du point qui la rendait picturale. Tous les éléments de la période des jeux de jacquet et des Camouflages étaient à la fois repris et transformés. Ce qui était peint auparavant en six couleurs, était désormais peint en trois couleurs et ces trois couleurs se superposaient au lieu de se juxtaposer.



— Alain Jacquet, Voyage à la surface de la Terre, interview par Catherine Millet, Art Press, avril 1990.
Vue de l'exposition "Jeux de Jacquet", Perrotin Paris. (Photo: Claire Dorn)
"Alain Jacquet" au Musée d'Art Contemporain de Chicago (USA), 1968

Une fois le procédé mécanique enclenché, Alain Jacquet déploie sur tout type de support différentes trames, circulaires ou linéaires, à partir d’une iconographie populaire, de photographies rejouant des tableaux iconiques et de grands thèmes de l’histoire de la peinture, tels que des femmes de dos, couchées ou penchées.

Parmi toutes ces expérimentations, il arrive que l’artiste redouble l’effet de tramage lorsque le sujet de référence présente également des rayures (Zèbre, 1966) ou lorsque l’objet sur lequel il est imprimé ne fait qu’un avec lui (une image de toile de jute sur un sac de jute, un plancher sur un plancher,…), révélant ainsi le devenir image des objets au sein de la société du spectacle.

Au début des années 1970, The First Breakfast(1972-1978) amorce une série d’œuvres où la main de l’artiste refait son apparition et où les images latentes liées à la culture populaire cèdent la place à la projection d’images fantasmatiques. Cette œuvre séminale consiste dans la reproduction de la première image de la Terre vue depuis l’espace, à laquelle Jacquet superpose une trame circulaire dont le centre est la pyramide de Khéops.


Cette œuvre a généré une série de tableaux utilisant les diverses photographies disponibles de la Terre vue comme un point depuis l’espace. Les « Visions de la Terre » où le pinceau se mêle à la sérigraphie jusqu’à parfois entièrement s’y substituer, rendent compte d’un ensemble de figures humaines, animales et fantasmatiques qui surgissent des masses nuageuses et des continents du globe terrestre vu du ciel.

On trouve le point partout. On met un point à la fin d’une phrase, les yeux sont des points, une ligne, un plan sont faits de points. On ne peut pas passer à côté. C’est une base. Quand j’ai commencé à peindre la Terre, cela relevait du même registre, c’est-à-dire une vision de la planète en tant que point. Telles que le montrent les premières vraies photos prises par les astronautes américains partis pour la Lune en 1969.



— Alain Jacquet, Libération, 23 avril 1998. Propos recueillis par Henri-François Debailleux.
"Donut Flight" au Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris, 1978.

De la trame mécanique, l’artiste passe ensuite à la trame numérique. L’outil informatique lui permet de mettre la Terre et d’autres planètes à plat, de déplier leurs surfaces comme des peaux puis de générer des volumes troués, appelés Donuts, ou allongés, des Saucisses, qu’il assemble dans des compositions pouvant parfois évoquer des coïts cosmiques ou renvoyer à des œuvres canoniques (La Joie de vivre de Matisse pour La Danse, 1995). Par-delà leur humour, ces toiles ont quelque chose d’un symbolisme primordial, ouvert sur une germination infinie de signes, de symboles et d’images.

Vue de l'exposition "Alain Jacquet, L’atelier NY 1980-1993, La Terre, 1993" au Centre Pompidou PARIS (France). Courtesy : Centre Pompidou
Vue de l'exposition "Ripe Fruit (organisée par Lisa Liebman), 1985" au MoMA PS1 Long Island City (USA). Courtesy : MoMa PS1, USA
Vue de l'exposition "Alain Jacquet, Oeuvres de 1951 à 1998" au Musée de Picardie AMIENS (France). Courtesy : D.R. Archives photographiques Musée de Picardie

À la fin un retour au point de départ. Mais un retour au point de départ tout en étant allé en chemin un peu plus loin que d’habitude dans la reconnaissance du réel, ou de son absence.


— Alain Jacquet, Le Monde, 9 mai 2002. Propos recueillis par Philippe Dagen.

(1)Cette formule est empruntée à Pierre Restany, utilisée dans un article de 1993 pour Galeries Magazine.


(2)Vincent Pécoil, Wade Guyton, Les Presses du réel, Paris, 2007.


(3)Comme le démontre Guy Scarpetta dans l’ouvrage Alain Jacquet. Camouflages 1961-1964, Éditions Cercle d’art, Paris, 2002, Alain Jacquet n’est pas un épigone du pop art, mais l’un de ses acteurs majeurs.



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Alain JACQUET

Né en 1939 à Neuilly-sur-Seine, France

Décédé en 2008 à New York, USA

Contemporain de l’expansion sans précédent des techniques de reproduction des images, Alain Jacquet (1939, Neuilly-sur-Seine – 2008, New York) n’a cessé d’explorer la façon dont notre regard est infiltré par des représentations. Depuis ses premières toiles abstraites jusqu’aux tableaux réalisés mécaniquement par sérigraphie ou par ordinateur, une prodigieuse diversité de formes et de supports lui permet d’expérimenter des techniques qu’il défendra tout au long de sa carrière.

Jacquet fait preuve d‘une grande capacité de renouvellement, guidé par divers principes : La tension entre abstraction et figuration ; l’image latente appartenant à une mémoire collective aussi bien qu’individuelle ; l’appropriation d’images issues de la culture populaire contemporaine et des oeuvres iconiques de musées ; l'explosion de l'unicité de l'image par sa fragmentation et sa démultiplication ; enfin, une subtile polysémie teintée d’ironie et imprégnée d’ésotérisme dans une quête des lois fondamentales de l’univers.

De ses débuts en 1961 en dialogue avec les artistes du pop art américain, aux périodes du Mec’Art, en passant par les séries du Braille ou des Visions de la Terre, anticipant l’art appropriationniste et simulationniste, Alain Jacquet traverse les courants de son époque sans pour autant s’identifier à aucun d’eux.



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