Sophie Calle, « True Stories »
Un jour, Sophie Calle est entrée dans ma vie. Sous la forme d'un livre où se
combinaient des textes et des images. C'était un soir de fin d'études, à la
bibliothèque, et pour moi c'était avant l'art contemporain, avant la critique d'art. Mais la voici, telle qu'elle m'apparut au premier jour de ma vie avec elle : espiègle femme de chambre pour trois semaines dans un hôtel de Venise, Sophie Calle occupe ses heures de ménage à fouiller dans les affaires des clients, photographier leurs lits défaits, leur valise ouverte, recopier leur agenda, pour dresser en leur absence le portrait des voyageurs (L'Hôtel, 1981). C'était une histoire vraie, déjà, comme d'autres par la suite, et jusqu'à son opus récent Douleur exquise où elle échange, comme des vases communicants, sa lamentable histoire d'amour contre les récits douloureux des autres. Tout est vrai chez Sophie calle, au sens où tout ce qui s'y rapporte a effectivement eu lieu : comme ces rituels d'anniversaire et leurs vitrines de cadeaux inouverts, ce strip-tease à vingt ans dans une baraque foraine de Pigalle, et jusqu'à cette filature d'un inconnu masculin suivi espionné de Paris à Venise. Mais à l'inverse la notion de vérité, sur laquelle les philosophes que nous ne sommes pas semblent avoir quelques idées claires, se trouve dans son ¦uvre considérablement floutée, embrouillée à force de jeux de pistes, de dissimulations, de manipulations, de rapports lacunaires. Qu'est-ce que ma vérité ? Et celle des autres ? Comment faut-il se comporter avec elles toutes ? Voilà qu'à peine sorti de la bibliothèque pour entrer dans la vie, j'avais déjà affaire à une énigme. -- Jean-Max Colard