Avec ses personnages de Lolitas détournés de l?imagerie manga, Mr. s?est imposé dans les interstices séparant l?ironie de la candeur. Sur cette représentation ambiguë de l?émerveillement pubère, il a conjugué, à une autre époque et dans un autre registre culturel, l?innocence feinte de l?héroïne nabokovienne. On se souvient là notamment de ses ?uvres semblant reprendre le personnage d?une jeune Heidi en petite culotte dans les Alpages. A partir du célèbre dessin animé réalisé par Isao Takahata d?après un modèle européen (1974), Mr. a opéré sur grands formats un léger décalage jouant tout autant sur les questionnements culturels du Japon aujourd?hui que sur la probable perversité d?une jeune fille qui semble refuser la victimisation d?un déterminisme religieux (croire, prier et souffrir en silence) au profit d?un salut passant par un libre arbitre militant (l?émancipation par ses propres choix). Remarqué au sein du manifeste Super Flat remettant en perspective la culture du Japon selon l?éternelle confrontation de la tradition et de la modernité, Mr. évolue précisément dans les paradoxes d?un Orient occidentalisé. Et que l?on peut percevoir dans ses immenses toiles exposées depuis dix ans à Tokyo, Osaka, Nagoya comme à Chicago, New York, Minneapolis, Londres que Paris.
Né en 1969 à Cupa, Masakatu Iwamoto (son état civil) avait déjà eu le temps de s?interroger sur la place, la légitimité et la reconnaissance d?un artiste avant de rejoindre Takashi Murakami dans le Super Flat et d?impulser le collectif Hiropon/Kaikai Kiki. Tout avait pourtant mal commencé. Durant trois ans d'études artistique, qu?il met en pratique tout ce dont il s?est imprégné lors de sa préparation à l'école des Beaux-Arts, l?Arte povera (pour l?Italie) et Rauschenberg à travers le pop art (pour les Etats-Unis). Aux avant-gardes de la nouvelle peinture comme on parlerait de nouvelle vague, et sensible au travail de Sandro Chia et Francesco Clemente, ses ?uvres réalisées à partir d'objets récupérés de toute sorte déroutent dans un premier temps. Mr. prend alors un boulot à mi-temps dans l?informatique. Et ses angoisses se dissolvent dès lors que se résout le dilemme opposant art mineur et art majeur. Le quotidien, c?est la création. Et Mr. réalise des montages mêlant speakerines, présentateurs et autres stars de la météo dans des vidéos de dix-huit heures. Doutant encore cependant, il veut reprendre des études alors que s?ouvre à lui une carrière de dessinateur manga. Il ne se considère pas comme tel. Il préfère être "brocateur". Là, il commence à esquisser des personnages de Lolitas sur des reçus, des tickets. Arte povera: cet art pauvre autour duquel Mr. n?avait cessé de tourner lui offrait une reconnaissance critique. ?Ludovic Perrin