Pour sa première exposition à Miami, Lionel Estève présente cinquante dessins d’un genre particulier. La série « Pistil » est née dans les champs fleuris cet été dernier. Les murs, saturés d’un voile translucide et lumineux, forment une frise ceinturant la galerie. Couverte de dessins elle se transforme en fresque champêtre, autant inspirée par les motifs végétaux que par les vitraux. Le décor est planté horizontalement, ancré sur des falaises de cimaise. La monumentalité et la minutie de cette tapisserie sont les deux bornes qui parsèment le parcours en forme de point de croix, car les dessins de Lionel Estève relèvent autant de la couture que de la sculpture.
Calés entre deux feuilles transparentes, ils emprisonnent fils, pastilles, plumes et autres rebuts modestes dans des arabesques géométriques, psychédéliques, oniriques, pops. Ces filets, autres matériaux de prédilection de l’artiste, prennent dans leurs nasses des objets de récupérations qui se doivent d’être autant légers que fins. Le film plastique est une grève qui ordonne et empile les moissons des marées successives. Les trésors s’y échouent sur sa surface qui est aussi lisse qu’autocollante. Au préalable un patron a été dessiné dans son dos, pour orienter la main de l’artiste. Le motif est tracé à l’aide de forceps et de pinces de chirurgien. Les feuilles carrées s’accumulent et forment les chapitres d’un herbier géant, dont chaque page se détache pour prendre place dans le patchwork géant.
Cette curieuse technique, véritable sculpture plane, a d’abord été expérimentée sur de simples rubans adhésifs, du vulgaire scotch, sorte de papier tue mouche où s’agglutinait déjà les récoltes d’une pêche miraculeuse. A l’époque l’artiste n’avait que dix huit ans. Depuis les feuilles plastiques sont traitées anti UV, leur PH est neutre, et elles se referment parfaitement sur les perles qu’elles dévoilent dans leur transparence prisonnière. Tailleur plus que dessinateur, l’artiste tisse une œuvre cohérente cousue de fil blanc, véritable fil rouge dans sa production structurée.
Il garde de ses sculptures légères et aériennes, ses fameux « mobiles », le goût pour la mise en espace et les jeux de lumière. Artiste de l’entre-deux il change aisément de registre, passe de la démonstration de force à la fragilité. Massifs et arachnéens ses travaux mesurent des écarts, expérimentent des tensions, mettent à distance les visiteurs. Les dessins ne font pas exception à la règle. Le petit centimètre qui les sépare du mur, donne à l’ombre portée un rôle de tendeur. La paroi devient une caisse de résonance qui propage l’impulsion donnée par les rais de lumière. Le cadre du dessin, véritable étau de verre, accélère la mise en lumière du « Pistil », il en favorise l’ouverture, en augmente les palpitations, en accentue le rayonnement. La succession des vues panoramiques et des effets loupes, le décalage entre le plan d’ensemble et les détails de la fresque, amorce et renforce les vibrations rétiniennes. Les effets physiques et optiques se calquent sur ces variations d’échelles et provoquent des changements de lecture qui sont autant de tempos différents.
Il faut des pinces et de la patience pour arriver à bout de ces floraisons. Les « Pistils » d’Esteve sont des Mandalas mêlant la débrouillardise des glaneurs, la poésie de la récupération et le grandiose des cathédrales, mélangeant le naturel des fleurs et l’artificiel des dessins géométriques. Travail d’orfèvre, précision de coupe, maîtrise de l’étoffe, ce ruban célèbre la combinaison du singulier et de l’altérité, il entoure la galerie et s’offre comme un cadeau au visiteur. -- Pierre Evariste Douaire